MIREILLE HELFFER : compte rendu :Carole PEGG, Mongolian Music, Dance & Oral Narrative. Performing Diverse Identities

carolebio.jpg
Carole PEGG
Seattle & London : University of Washington Press, 2001
mireille helffer
Mireille Helffer
p. 185-189
Référence(s) :

Carole PEGG, Mongolian Music, Dance & Oral Narrative. Performing Diverse Identities. Seattle & London : University of Washington Press, with a CD, 2001.

Texte intégral

1Avant d’aborder le contenu de l’ouvrage que Carole Pegg vient de consacrer à la musique mongole, il n’est sans doute pas inutile de se remémorer quelles étaient les connaissances dont on pouvait disposer à la fin du XXe siècle.

2Première constatation : un certain nombre de publications étaient facilement accessibles en Occident. Parmi celles-ci, je signalerai les titres suivants, classés par ordre chronologique de parution :
— Van Oost, P.J., « La musique chez les Mongols des Urdus », Anthropos 10-11 (1915-16) : 258-396.
Dix-huit chants et poèmes mongols. Recueillis par la Princesse Nirgidma de Torhout. Trans. Madame Humbert-Sauvageot Paris : Paul Geuthner [Bibliothèque musicale du Musée Guimet 1 (4)], 1937.
— Les articles de Ernst Emsheimer et Haslund Christensen in The Music of the Mongols Part I: Eastern Mongolia [Reports from the scientific Expedition to the North-Western Provinces of China under the leadership of Dr. Sven Hedin — The Sino-swedish Expedition — Publication 21 /VIII Ethnography 4]. Stockholm, 1943.
— Les publications hongroises des années 1960 :

  • Laszlo Vargyas: « Performing styles in Mongolian Chant », Journal of the IFMC 20 (1968): 70-72 > découverte du chant diphonique.

  • Györgi Kara : Chants d’un barde mongol. Budapest : Akadémiai Kiado [Bibliotheca Hungarica XII] 1970. D’après la documentation recueillie en 1959 auprès de barde Pajai, dans la Région autonome de la Mongolie intérieure (Chine).

— Les nombreux articles publiés à partir. de 1970 dans la revue Etudes Mongoles (devenue plus tard Etudes mongoles et sibériennes) animée par Roberte Hamayon et une équipe de mongolisants et touchant aussi bien à la littérature orale qu’au tambour chamanique.
— Sans oublier l’article de Laurent Aubert « La vièle-cheval et le luth-singe », publié dans le Bulletin du Musée d’ethnographie de Genève n° 28 (1986 : 27-51) à la suite de l’acquisition par ce musée d’un lot d’instruments de musique d’Asie centrale et de nombreuses cassettes de musique enregistrée.

3Deuxième constatation : entre 1967 et 1993, des enregistrements significatifs ont été édités et sont devenus disponibles en France ; malheureusement, les notices demeuraient le plus souvent sommaires. Sans prétendre à l’exhaustivité, il y a lieu de signaler :
— Lajos Vargyas : Mongol Nepzene [Mongolian Folk Music], Hungaroton, UNESCO cooperation LPX 18013-14 (1967), réédition HCO 18013-14 (1990). Un compte-rendu relatif à ces disques, accompagné d’informations complémentaires a été rédigé conjointement par Roberte Hamayon et Mireille Helffer : « A propos de Musique populaire mongole, enregistrements de Lajos Vargyas », in Etudes mongoles 4 (1973) : 145-180.
— Roberte Hamayon : Chants mongols et bouriates, Paris, collection Musée de l’Homme, Vogue LDM 30138, 1973 [enregistrements recueillis en1967-68 et 1970]. A compléter par Roberte Hamayon : « Quelques chants bouriates », in Etudes mongoles 6 (1975) : 190-213.
— Jean Jenkins: Vocal and Instrumental Music of Mongolia Topic TSCD909. Réédition des deux LP (1977) TGS126 et 127. Compte-rendu de Mireille Helffer in Yearbook of the IFMC vol. 10 (1978): 139-140.
— Xavier Bellenger : Mongolie : Musique et chants de tradition populaire, GREM G 7511, The digital archives of Traditional Music with the assistance from the International Music Council-UNESCO [34 extraits recueillis en 1985 à Oulan Bator, à la faveur d’un festival organisé par la République populaire de Mongolie].
— Alain Desjacques :

  • Mongolie : Musiques et chants de l’Altai. ORSTOM Selaf Cero 811 (1986).

  • Mongolia: Musics and Musicians of the World, coll. Auvidis-UNESCO D8207 (1991).

  • Mongolia : Chamanes et lamas (enregistrements 1991-1992 et 1993) OCORA C560059. Compte-rendu de Mireille Helffer in Cahiers de Musiques traditionnelles 8 (1995) : 269-272.

4La plupart de ces enregistrements sont aujourd’hui hors commerce et doivent être recherchés dans des discothèques spécialisées.

5C’est à la suite de ces chercheurs qu’il y a lieu de situer le parcours de Carole Pegg. Elle se réclame élève de Jacques Goody et Lawrence Picken et, après avoir étudié la musique de son pays natal dans l’East Suffolk, elle a opté pour la Mongolie où elle a effectué son premier terrain en 1987. Ses fonctions officielles — rattachement au Département d’Anthropologie sociale et à la Faculté de musique de l’Université de Cambridge, co-fondatrice du British Journal of Ethnomusicology (fondé, rappelons le, en 1992) — sont rappelées à la p. 377 de son ouvrage. Elle tient en outre à préciser que « As a social anthropologist and musician she has been working since 1987 with nomadic groups in remote areas of Mongolia and Inner Mongolia (China) and with urban Mongols in both countries. She has also toured with Mongol musicians in England and Hong-Kong ». On se demande pourquoi elle passe sous silence son exigeant travail de Ethnomusicology Area Editor pour la nouvelle édition du Grove

6Venons-en maintenant à l’objet de Mongolian Music, Dance & Oral Narrative, à savoir l’état de la musique mongole depuis les années 1990.

7Dans son introduction, l’auteur se pose résolument comme une ‘social anthropologist’ principalement intéressée par l’ethnographie de la performance, et elle va jusqu’à dire « questions of authenticity are not at issue here. Whether the performances are on Western stages in concert hall or within traditional nair in the round felt tent, the processes are the same » (p. 6). Ces présupposés expliquent le plan qui a été choisi pour cet ouvrage, dont le titre laissait attendre un traitement plus musical des données recueillies. Il se divise en quatre parties dont je conserve ici volontairement les titres en anglais afin de ne pas fausser la pensée de l’auteur :
— Part I: Performing Ethnicity, History and Place (7-93).
— Part II: Embodying spiritual landscape (95-168)
— Part III: Creating Sociality, Time and Space (169-248)
— Part IV: Transforming political identities (249-297)

8L’ouvrage est complété par une bibliographie abondante (faisant place à nombre de contributions mongoles difficilement accessibles), par une discographie sélective, un glossaire de 406 entrées, un index et une liste des personnes interviewées, portant sur 171 noms avec mention des lieux et dates des rencontres.

9Si je comprends bien le propos de Carole Pegg, il s’agit dans la première partie de montrer comment les conditions de la performance recréent de nouvelles identités en relation avec l’origine ethnique, l’histoire et le lieu. Pour répondre à cette interrogation, l’auteur a su nouer, grâce à sa connaissance de la langue, des contacts étroits avec les chercheurs et musiciens mongols, rencontrés sur place ou fréquentés au cours des tournées qu’elle a accompagnées en Angleterre ou à Hong-Kong.

10Cette longue partie est divisée en trois chapitres qui traitent successivement des « connections » c’est-à-dire des données historiques nécessaires à la compréhension des rapports entre groupes (ch. 1), des répertoires de musique vocale et notamment des différents styles de « chants longs » (urtyn duu), selon qu’on se trouve à l’est (avec accompagnement de vièle morin huur), à l’ouest, sans accompagnement, ou en Mongolie intérieure avec support d’un bourdon vocal produit par l’assistance (ch. 2), des instruments de musique et de la danse (ch.3).

11C’est seulement dans cette partie que la question de la substance musicale est brièvement abordée, étayée par une seule notation sur portée d’un fragment de chant long (urtyn duu) empruntée à la contribution d’un musicologue japonais (p. 46 : fig. 4 a et b), et par les indications relatives à l’accord des principaux instruments : vièle morin huur (p. 71 : fig. 5), vièle à archet emprisonné huuchir (p. 76 : fig. 6), luth shudraga (p. 80 : fig. 7), flûte limbe (p. 82 : fig. 8) etc.

12Pour répondre aux questions d’ordre musical que se pose le lecteur, il y a heureusement le CD accompagnant l’ouvrage qui regroupe 38 courts exemples, choisis dans le souci de mettre en évidence les styles régionaux des différents genres. C’est à juste titre que l’accent est mis sur les « chants longs » avec 11 plages consacrées aux urtyn duu, chantés par des hommes ou des femmes, avec ou sans accompagnement de la vièle à tête de cheval morin huur, dans des styles différents selon qu’ils ont été recueillis à l’ouest ou à l’est de la Mongolie ou en Mongolie intérieure. Le chant diphonique hoomii, devenu emblématique de la musique mongole, est à l’honneur avec 4 plages dont une (CD 19) offre la démonstration de six types différents de hoomii. On notera en outre les deux extraits de chant épique selon les deux styles pratiqués dans l’ouest de la Mongolie (CD 15 et 16), les deux exemples de « louanges », magtaal, les rares chants pour encourager les animaux domestiques à se laisser traire (CD 36), et l’extrait de séance chamanique (CD 33). Enfin, le jeu de la plupart des instruments de musique en usage est illustré par un exemple.

13Dans la deuxième partie, l’auteur aborde le difficile problème des conditions religieuses résultant de la longue période de domination russe et, reprenant les observations de plusieurs chercheurs mongols concernés, adopte un triple point de vue, avec un chapitre consacré aux pratiques de la religion populaire (ch. 5), un chapitre consacré à la renaissance du chamanisme (ch. 6 : 120-142 et CD 33), un chapitre sur ce qui reste des traditions bouddhistes, après des décennies de persécution (ch. 7 : 143-155). Mais ces distinctions étaient-elles opportunes quand l’auteur elle-même souligne comment on assiste à des « mosaics of performance practices and discourses rather than discrete sets of practices and beliefs » (p. 95).

14En ce qui concerne le chamanisme, persécuté depuis des générations, les informations recueillies se basent sur les témoignages des anciens et sur des entretiens auprès de trois femmes-chamanes âgées et en particulier Baljir Udgan, dont une partie de la performance figure au CD 33. On peut regretter que la description du tambour chamanique se limite à celle d’un tambour conservé au musée d’Ulaangom et ne s’appuie pas plutôt sur les instruments dont usaient ses informatrices.

15Il n’y a pas lieu de s’étonner que les données recueillies concernant la pratique musicale en milieu bouddhiste demeurent extrêmement limitées, en raison des sévères persécutions qui se sont abattues sur les monastères et qui ont eu pour conséquence d’éliminer ou d’appauvrir considérablement les traditions musicales. La plupart des monastères qui revivent aujourd’hui ne disposent pas de tous les instruments nécessaires au culte et on peut être surpris d’apprendre dans quelles conditions sont rétablies les danses rituelles tsam (tib. ’cham) avec des acteurs laïques et l’introduction de chants hoomii. De plus, on aurait souhaité quelques explications sur la photo d’une partition musicale (fig. 9) dont il est simplement dit qu’elle concerne des « chants de monastère », mais qui, contrairement à ce type de document dans la tradition tibétaine, ne comporte pas de texte.

16La troisième partie, consacrée à l’entretien des liens sociaux dans l’espace et dans le temps, s’attache à montrer l’importance donnée aux célébrations domestiques et notamment au mariage (ch. 8). Mais elle traite aussi des sports et des jeux pratiqués dans diverses circonstances (ch. 9) et en particulier du « Festival des trois sports virils », les courses de chevaux, la lutte et le tir à l’arc, toutes disciplines dont les vainqueurs ont droit à des « louanges » (yerööl).

17Enfin le chapitre 10 évoque les pratiques musicales liées à l’élevage et à la chasse, avec les chants pour favoriser la traite des animaux domestiques, différents selon qu’il s’agit des juments (CD 36) des chèvres, des chamelles ou des vaches.

18C’est manifestement dans la quatrième partie que Carole Pegg se trouve le plus à l’aise car elle fait bénéficier le lecteur de son expérience vécue des changements politiques à l’œuvre, du contrôle idéologique exercé et des conséquences qui en ont résulté au plan musical en traitant au ch. 11 de la création d’une « identité nationale socialiste », au chapitre 12 des ‘ruptures et diversités’ avant d’esquisser en post-scriptum (ch. 13) une sorte de bilan.

19Elle constate en effet que, selon le modèle préconisé par l’Union soviétique, la musique est supposée devenir « nationale par la forme et socialiste par le contenu ». Ce programme aboutit à une élimination des diversités régionales, tendant à un processus de standardisation de la musique mongole, avec l’adoption de nouvelles classifications des instruments de musique (avec standardisation des accords) et des chants dont les textes sont adaptés pour les mettre en conformité avec la pensée officielle.

20Le développement des clubs et des théâtres locaux, combiné avec l’organisation de festivals folkloriques destinés à promouvoir les talents locaux contribue largement à la diffusion de cette musique mongole standardisée.

21Avec Mongolian Music, Dance & Oral Narrative, on dispose désormais d’un ouvrage utile et même indispensable pour qui veut aborder la musique mongole au seuil du troisième millénaire. Pourtant, malgré la richesse de l’information dispensée, la lecture de ce livre laisse un sentiment d’insatisfaction pour plusieurs raisons :

22– Le plan adopté ne facilite pas la compréhension du lecteur et aboutit à un certain éparpillement des données. Qu’on en juge plutôt pour la connaissance de ce genre essentiel de la musique mongole, à savoir le chant long (urtyn duu), traité comme on pouvait s’y attendre au ch. 1, mais abondamment évoqué tout au long de l’ouvrage et notamment au ch. 8 concernant les célébrations domestiques et plus particulièrement les mariages (p. 173 / p. 191 / p. 206).

23– Le non-mongolisant se perd facilement entre régions (les cartes p. 10 et 12 ne sont pas d’une grande clarté !) et il est fastidieux de devoir se reporter au tableau des groupes mongols qui figure p. XII. De même pour se retrouver entre genres, nom des informateurs, titre des chants, il faut avoir recours à l’index et au glossaire, quand ce n’est pas au contenu du CD.

24– Le glossaire (pp. 313-324), dont la consultation s’avère fort utile, ne reconnaît pas toujours les emprunts faits au tibétain comme en témoignent les exemples suivants : dorje pour tib. rdo-rje / dun pour tib. dung désignant la conque / hadag pour les écharpes de cérémonie kha-btags / san pour tib.bsang / tangka / tsam pour tib. ‘cham etc…

25Au chapitre des lacunes, qu’il soit permis de regretter que l’auteur n’ait pas jugé utile de donner quelques indications sur les règles de la versification et de la poétique mongoles et que les possibilités de confronter enregistrements et textes des chants soient presque inexistantes. Il eut été appréciable de pouvoir disposer d’indications concernant le volume des enregistrements recueillis par l’auteur au cours de ses nombreuses missions.

26Enfin on peut s’étonner que la bibliographie ignore des chercheurs français comme Evelyne Falck ou Laurence Delaby, et ne mentionne pas l’importante contribution du musicologue soviétique A. Smirnov, publiée en 1961 sous le titre Mongol’skaja narodnaja muzyka, Moscou, Sovietskij Kompositor et comportant une classification des différents genres musicaux illustrée par environ 200 notations sur portée.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Mireille Helffer, « Carole PEGG, Mongolian Music, Dance & Oral Narrative. Performing Diverse Identities », Cahiers d’ethnomusicologie, 15 | 2002, 185-189.

Référence électronique

Mireille Helffer, « Carole PEGG, Mongolian Music, Dance & Oral Narrative. Performing Diverse Identities », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 15 | 2002, mis en ligne le 11 janvier 2012, consulté le 08 janvier 2019. URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/803

Haut de page

Auteur

Mireille Helffer

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Tous droits réservés

https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/803

Design a site like this with WordPress.com
Get started